Concept appartenant à l’histoire, l’emploi tel que nombre de salariés l’ont connu s’est peu à peu effacé au fur et à mesure que l’industrie de main d’œuvre s’est transformée en industrie capitalistique. Mot-valise à géométrie variable, le terme « emploi » n’a plus de consistance car son contenu évolue trop vite. Dès lors, il semble opportun de lui substituer la notion d‘employabilité, moins sclérosante, car inscrite dans un processus de développement continu et plus adulte car impliquant deux acteurs autant responsables l’un que l’autre : l’entreprise et le collaborateur « entreprenant ».

Saisissez-vous d’un dictionnaire, oui cet étrange pavé qui semble ne plus exister que pour surélever un écran d’ordinateur. Cherchez le mot « emploi ». Dans l’édition 2002 du Petit Robert, le mot renvoie à différentes définitions et prend place sur les deux-tiers d’une colonne. On y trouve notamment la définition – macroéconomique – de l’économiste John Maynard Keynes : « somme du travail humain effectivement employé et rémunéré, dans un système économique ».

Saisissez-vous maintenant de votre clavier d’ordinateur et, à l’aide du moteur de recherches de votre choix, tapez le mot « emploi ». En l’espace de 67 secondes seulement, plus de 61 millions d’occurrences sont disponibles sous vos yeux. Sur le site de la direction des ressources humaines de la Fonction publique de Nouvelle-Calédonie, l’emploi est défini ainsi : « ensemble d’activités, supposé réalisable par une personne, un « professionnel », dans le cadre d’un poste de travail dont le contenu est défini précisément par l’organisation ». De manière plus pragmatique et pour une entreprise, l’emploi est la résultante d’un carnet de commandes qui appelle un besoin de main d’œuvre. Dans le champ de l’éducation et de la formation, l’emploi est plutôt défini comme un ensemble de savoir-faire, d’expertises qui répond à des métiers ou qui entre dans la définition d’un métier.

« Terme volant non identifié »

Emploi, activité, travail, main d’œuvre, métier… Sans être synonymes, ces termes sont voisins, se complètent et se précisent entre eux. Utilisé par domaine, le terme « emploi » a toute sa légitimité. Cependant, de manière générique, il prend de plus en plus l’apparence d’un T.V.N.I, « terme volant non identifié », dans un monde du travail mouvant, aujourd’hui bousculé par les algorithmes et le spectre de l’intelligence artificielle dont certains se plaisent à dire qu’ils sont les fossoyeurs de l’emploi.

Las ! Laissons ce débat de côté pour nous intéresser au cœur du sujet : qui fera quoi demain ? Car c’est bien la question puisque nous sommes passés, en quelques années seulement, d’un emploi fixe et mono-compétences à un emploi mobile et multi-compétences. De la même façon, hier, un salarié entrait dans une entreprise le plus souvent pour y faire carrière selon une trajectoire préétablie et assez linéaire. Aujourd’hui, il y entre avec l’idée d’évoluer dans plusieurs entreprises – parfois en même temps. Car si l’activité et le travail ont changé, les mœurs et les mentalités aussi. Désormais, on ne s’investit que pour un temps donné, dans un objectif très précis et selon un schéma pouvant comporter des phases de transition, des recadrages, des changements de direction.

Vol d’étourneaux

La réponse au « qui fera quoi demain » se trouve sans doute dans l’employabilité c’est-à-dire la capacité à rester « employable » tout au long de sa vie professionnelle et plus précisément la capacité à évoluer de façon autonome à l’intérieur d’un système, avec ou sans le soutien dudit système. Bref, la capacité à s’inscrire dans un processus de développement. L’employabilité est à l’image de ce vol d’étourneaux : homogène dans son mouvement mais différent dans son organisation à chaque battement d’ailes.

Écrire cela entraîne de facto une tout autre vision de l’entreprise et des acteurs qui la composent. Acteurs plus que salariés car l’employabilité percute la question de la posture, de la place que chacun se donne et qu’on lui laisse plus ou moins prendre dans un système. Elle relève en premier lieu de la responsabilité de celui ou celle qui s’inscrit dans le changement et nécessite de sa part une vision de sa propre trajectoire à plus ou moins long terme, une conscience aiguë de ses savoir-faire et savoir-être et de ceux qu’il lui faudra acquérir en vue d’évoluer et, au-delà de ses aspects, volonté et courage. Mais l’employabilité relève aussi de la responsabilité de l’employeur qui dispose d’un outil efficace : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Encore faut-il bien sûr qu’il soit assumé par tous les partenaires sociaux afin de limiter les plans de sauvegarde de l’emploi.

Communauté d’intérêts

L’entreprise d’aujourd’hui ne constitue plus une communauté de destins comme on pouvait le voir il y a quarante ans encore. « Libérée » ou pas, l’entreprise du troisième millénaire est devenue une communauté d’intérêts. À chacun de se saisir ou de créer des opportunités.

Pour exemple, regardons l’opposition qui est faite entre les salariés en CDI, qui seraient en sécurité, et les salariés en CDD qui seraient en situation de précarité. Cette opposition devient de plus en plus un mauvais débat. Certes, la question sur la nature du lien qui unit, aujourd’hui et encore plus demain, le collaborateur et l’entreprise se pose. Ce lien est de nature précaire parce que mobile. La nécessité d’obtenir un CDI pour sécuriser l’emploi est principalement due à la société qui accorde crédit ou caution à une personne si elle est en possession d’un CDI. Cette situation est scandaleuse. Ce n’est pas l’entreprise qui est condamnable en tant qu’employeur, ce sont les entreprises qui sont condamnables comme créancières. De même, la fidélité du collaborateur à fort potentiel d’employabilité est aujourd’hui plus que précaire. Ce n’est pas le collaborateur qui est condamnable en tant que salarié, c’est le collaborateur qui est condamnable comme citoyen. Le contrat de fidélité n’est pas une question de CDI ou de CDD mais une question d’engagement civique et moral. Cette question concerne autant le collaborateur que l’employeur. Elle soulève d’ailleurs la question de la nature du contrat. Un collaborateur « entreprenant » peut-il rester dans un contrat salarié de subordination ?

Revenir à l’origine latine

Si la génération X peut s’en émouvoir, elle qui a connu, à travers ce qu’ont vécu ses parents, deux modèles d’entreprises, les générations Y, Z et suivantes semblent l’avoir intégré ou pour le moins compris. Et c’est heureux car l’entreprise désormais ne propose pas des emplois mais recherche une employabilité. Les candidats au travail ou à l’activité – que l’on devrait nommer des « demandeurs de travail ou d’activité » et non des « demandeurs d’emploi » – y répondront en mettant en avant leurs compétences déjà acquises et mises en œuvre dans des contextes particuliers mais également en valorisant ce savoir-être qu’est leur capacité à évoluer. Les évolutions récentes du code du Travail et de la formation tout au long de la vie intègrent ce mouvement de fond. Mais nous devons encore aider toutes et chacun à regarder autrement ce qui se joue dans l’emploi et non pour l’emploi. Le rôle du management dans ce nouveau cadre sera déterminant car on ne manage pas celui ou celle qui a un fort potentiel d’employabilité comme on manage celui ou celle qui cherche un emploi. En somme, entreprise ou salarié, il s’agit de revenir à l’origine latine du mot « emploi », « impliquare » qui signifie « impliquer », « engager ».