L’individualisme, cette liberté si mal assumée

Il souffle. Il souffle déjà depuis des millénaires. Probablement depuis le début de l’humanité. Il agit avec toute la force du désir de vivre d’abord, et d’exister ensuite. Ce vent c’est celui de la liberté. Chacun en rêve. La plupart la revendique. Quelques uns la capturent et la cultivent comme un bien si précieux qu’ils sont prêts à se battre et mourrir pour elle. Le désir de liberté a donné naissance aux plus belles heures de l’humanité mais aussi aux plus barbares et tragiques d’entre elles. La liberté est source de bonheur et de tracas. Elle donne aux hommes et aux femmes le bonheur de vivre de soi et par soi et le tracas de la maintenir ou d’assumer son prix : la responsabilité.

Que vaut la liberté en notre temps?

Pour le citoyen de ce siècle naissant, la liberté est un droit. Elle est inégalement assumée car les individus ne sont pas égaux devant l’existence. Pourtant elle est revendiquée par chacun au point que tout acte de morale ou d’autorité apparaît « despotique » ou « facho ». C’est que la liberté d’aujourd’hui, a moins à voir avec celle que nos aïeux ont arrachée aux despotes de leur temps. Aujourd’hui la liberté est devenue synonyme de « j’ai le droit » et toute imposition du collectif sur l’individu est mal vue tant par les juges que par les représentants des valeurs de la république. L’homme libre de notre république a plus à exiger de la nation que la nation à exiger de lui. Tout problème qui se pose en terme de moyens doit être réglé ou assumé par la collectivité. Certes, cela n’est pas vrai pour tout le monde, mais un courant de pensée se développe. Drôle de sens de la liberté que celui de reléguer à la famille, à l’entreprise ou à la collectivité de pourvoir aux aléas de la vie et aux conséquences des agissements de chacun. La liberté serait elle devenue un attribut de l’enfantillage. On se sent libre parce la famille est là pour nous protéger. Cette conception de la liberté est l’expression de l’individualisme. Une lecture juvénile, adolescente.

Je croyais qu’être libre était d’oser assumer ses idées et qui l’on est, de se donner les moyens de ses ambitions ou de ses désirs sans être dépendant . Ce qui veut dire, se faire aider et non être assisté ou biberonné. En d’autre terme, l’homme moderne est légalement un homme libre, et psychologiquement assisté. Il n’y a pas de liberté sans responsabilité comme l’a exprimé Alain ETEVE dans l’article précédent. Ainsi est l’individualisme, cette forme moderne et juvénile de la liberté.

La liberté au travail et dans l’entreprise

L’homme nouveau, moderne, a créé  « le monde du travail ». D’abord pour en finir avec sa condition humaine  de bas étage. Le travail doit le sortir de sa servitude à la nature. C’est un besoin et un désir à la fois. Un besoin pour améliorer les conditions de vie et un désir pour devenir maitre de sa vie et de sa sécurité. Ainsi, le travail nourrit l’existence, sous ses formes individuelle ou collective,  Chacun apporte sa spécialité et  la collectivité apporte l’économie de la solidarité. Ainsi est allé l’humanité pour arriver jusqu’à nous. La nation, la collectivité, par son émancipation à sa condition naturelle, a fait du travail un concept, un statut social et un vecteur de réussite et d’épanouissement. A l’entreprise d’assurer la solidarité et l’organisation du travail, à l’individu d’assurer la réalisation du travail. Mais les temps ont changé et l’équilibre  s’est rompu. L’entreprise ne sait plus garantir la pérennité de l’emploi et ne peut plus apporter une organisation du travail stable. De son coté, l’individu veut pouvoir choisir son travail et sa forme selon ses désirs, tout en exigeant que l’entreprise lui garantisse la sécurité de son Travail, devenu  » un emploi ». La loi El Khomeri et l’utilisation du 49.3 ne permettront pas de faire le saut  dans le monde du travail du XXIeme siècle, pourtant si nécessaire. L’individualisme a gagné sur l’homme libre et le pouvoir politique aura une fois de plus montré toute son incapacité à avouer au peuple que le prix de la liberté du travail passe par l’acceptation du risque de la mobilité. Il a préféré reculer sur la liberté de licenciement et l’accès au travail mobile. Voici maintenant plus de 15 ans que les partenaires sociaux ont engagé les réformes pour sécuriser la mobilité du travail. Rien, n’y fait. Certains individus s’ancrent dans le langage « gauchiste » qui consiste à reporter sur la collectivité le risque d’assumer les aléas du travail.

La liberté, l’anarchie ou l’autogestion ?

Nous assistons depuis une bonne cinquantaine d’années à la montée du droit individuel au travail. Ce progrès tourne à la crise de croissance. Le XXème siècle a généré une euphorie dans les têtes du citoyen. Celui-ci est convaincu que rien ne peut le faire régresser. La société doit lui accorder sans cesse des droits nouveaux afin de satisfaire sa boulimie de liberté individuelle. Pourtant, depuis 40 ans, les crises n’ont cessé de porter les transformations et les dangers. Licenciements, productivité stressante, chômage, croissance insuffisante. Mais pour la plupart de nos concitoyens, c’est à la nation de trouver les solutions, à l’entreprise de maintenir l’emploi sans toucher aux acquis. Comment avons nous pu en arriver là. Un tel individualisme dans un pays où la solidarité, la générosité sont présentées comme une valeur nationale. C’est que les mœurs ont la tête dure. L’éducation du jeune citoyen est tournée vers les lettres et les sciences : Les valeurs nobles. La culture économique, celle qui consiste à gérer durablement un capital ou à en constituer un par son travail et son intelligence, est reléguée au second rang : Les valeurs de  » petit bourgeois » ou « arriviste ». La culture française est profondément individualiste.

La nation est une construction historique qui a, elle aussi, montré ses limites. Elle est souvent mise à l’honneur quand il faut défendre son identité et son territoire face à un danger extérieur. Mais quand le danger est économique, financier, quand « il n’a pas de visage », pour reprendre l’expression de françois Hollande, devenu président ? Cet ennemi là n’est pas dangereux parce qu’il est combattu par l’endettement. C’est pratique pour s’obstiner dans le déni de réalité et faire payer la facture  aux futures générations. Alors, l’individualiste a vite fait de se plaindre de cet Etat qui n’a plus le sou. Comment ne pas devenir anarchiste ? Bien que l’anarchie consiste à ne rien attendre de la collectivité et de respecter la liberté des autres. Les « nuits debout » ont-ils à voir avec l’anarchie ? La libre expression sur le bitume ou le pavé relève t-elle d’une nouvelle forme de démocratie, plus juvénile ou est-ce la nouvelle forme du mouvement « Peace and love » des hippies du siècle dernier? Au fonds de ces mouvements, en marge des « partis » c’est un vent d’humanité qui s’exprime, celui du rejet d’une économie qui ne sert plus le bien être de ses membres. Pire, elle appauvrit chacun sans garantir l’ensemble. A défaut d’anarchie franchement assumée, il convient dès lors de devenir autogestionnaire. Cette méthode qui consiste à s’organiser pour assurer ses besoins, par soi-même et avec d’autres. C’est sans doute à cette conclusion   que sont parvenue toutes celles et ceux qui ont décidé de créer leur petite entreprise, de militer dans des associations comme zèbre, de se saisir de quelques initiatives qu’elles soient heureuses ou malheureuses. L’important, c’est d’agir et de prendre leur destin personnellement en main. Ils font partie des auto-entrepreneurs et entrepreneurs.

Le management de l’autonomie ou Le management peut-il fabriquer des hommes libres ?

Dès lors pour ces individus là, la connaissance du droit est un atout et non pas un acquis. Celui-ci doit servir à mettre toutes les chances et les moyens sur  la reconquête ou  la construction de leur destin.

Ils savent que ce n’est pas facile mais c’est la voie royale en cas de réussite. Et par magie, même lorsque cela ne marche pas, il en ressort toujours une expérience bénéfique. Idyllique n’est-ce pas ? Non, ce n’est pas idyllique ou naïf. Du moins pas plus ni moins que de croire, que tout viendra de l’homme providentiel, ou d’un leader magicien au beau discours enchanteur. Le futur responsable politique digne de ce nom, tiendra un discours d’autogestion du citoyen dans une volonté d’exister réellement forte. Il incarnera cette volonté qui a elle seule, justifie l’engagement d’efforts de chacun des individus de la nation.

Alors, ouvrez grand les portes et les fenêtres des entreprises. Faites entrer ce vent de liberté et canalisez le pour qu’il tourne à l’engouement autogestionnaire de chacun des collaborateurs. Responsabiliser chacun sur l’auto-management de son destin et offrez lui la possibilité de le réaliser au sein de la communauté ENTREPRISE dans laquelle il oeuvre. Oui, il oeuvre ! L’Individu-Salarié veut être un artiste, la star de son destin au yeux de SA collectivité. L’entreprise n’est plus un lieu ou l’on trime pour un salaire. Elle doit être le lieu ou l’on gagne sa vie. Gagner sa vie, c’est la construire. L’entreprise reste un lieu de proximité (l’ETI, la PME n’ont rien à voir avec les entreprises du CAC 40).

Il faut rendre hommage aux partenaires sociaux. L’individu connait mal le travail que ceux-ci réalisent pour lui. D’abord parce que les partenaires sociaux communiquent mal. C’est plus facile de revendiquer, c’est plus compliqué de responsabiliser les individus sur des accords qui les engagent. Nous le voyons bien avec les mouvements de grèves et leurs motifs de mécontentement : Pas de changement de la loi actuelle sans négociation d’entreprise ou de branche. Pourtant, les chauffeurs bloquent les routes par peur de ne plus être payés de leurs heures supplémentaires. Où est l’esprit de négociation local ou sectoriel? Les partenaires sociaux vivent, eux aussi, l’insuffisante responsabilisation des citoyens-salariés. Il faut donc responsabiliser pour rendre libre. Mais est-ce que tous les citoyens veulent t-il vraiment être libres? Beaucoup recherchent probablement dans l’’entreprise et la nation, une protection nourricière, non une autonomie d’existence. Pour autant, ouvrez grand portes et fenêtres et formez vous au management de l’autonomie des collaborateurs. Dirigeants, vous n’avez plus le choix ! Le salarié historique du XXème siècle s’en va finissant. Le salarié du XXIième siècle arrive naissant. Il est libre légalement mais immature. Il faut l’aider à grandir. Les managers de l’autonomie ont depuis plusieurs décennies, plusieurs moyens à leur disposition, comme la GPEC, le DIF, la VAE, l’entretien professionnel, la RSE, etc…, que les accords interprofessionnels ont fait entrer dans la loi. Encore faut-il qu’il les considèrent comme tels ! Ces obligations ou moyens changent  la responsabilité du management.

Le chef d’entreprise et les managers réclament des collaborateurs autonomes, responsables, disponibles et performants. Les collaborateurs veulent être autonomes, bien dans leur entreprise et faire un travail qu’ils aiment. Quelle aubaine !

Oui, il est possible de réussir l’évolution vers l’intrapreneuriat des collaborateurs pour rendre la collectivité Entreprise plus agréable et plus efficace. C’est une nécessité, tant par la maturité sociale de la société que par la rigueur économique. Une grande question alors se pose : Le manager reste t-il  le seul garant de la performance économique ou devient-il l’animateur d’un collectif  responsable de sa réussite économique ? 

Enfin, ll faut favoriser la montée en maturité des individus pour assumer vraiment la liberté d’entreprendre dans la réussite collective. Nous assistons à la fin de cycle du salariat classique, et la naissance du salariat moderne, proche du partenariat salarial. La nation et l’entreprise devront s’accommoder d’un homme libre dans une collectivité redevenue communauté pour laquelle on entre et on sort. Cela s’appelle de la mobilité, l’art d’accepter les ruptures du travail sans qu’il y ait de cassure sociale. Alors tous responsables.

Patrick Devliegher

Patrick Devliegher

Institut CSE

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